Le départ pour le tour de France - Texte

Modifié par Clemni

« Bientôt il [Pierre] voulut en savoir plus sur son temps et sur son pays, que ce qu’il pouvait apprendre dans sa famille et dans son village. Il fut saisi à dix-sept ans de l’ardeur voyageuse qui, chaque année, enlève à leurs pénates de nombreuses phalanges de jeunes ouvriers pour les jeter dans la vie aventureuse, dans l’apprentissage ambulant qu’on appelle le tour de France. Au désir vague de connaître et de comprendre le mouvement de la vie sociale se mêlait l’ambition noble d’acquérir du talent dans sa profession. […]

Un compagnon tailleur de pierres, qui avait passé dans le village, lui avait fait entrevoir les avantages de la science en exécutant devant lui, sur un mur, des dessins qui simplifiaient extraordinairement la pratique lente et monotone de son travail. Dès ce moment, il avait résolu d’étudier le trait, c’est-à-dire le dessin linéaire applicable à l’architecture, à la charpenterie et à la menuiserie. Il avait donc demandé à son père la permission et les moyens de faire son tour de France. Mais il avait rencontré un grand obstacle dans le mépris que le père Huguenin professait pour la théorie. Il lui avait fallu presque une année de persévérance pour vaincre l’obstination du vieux praticien. Le père Huguenin avait aussi la plus mauvaise opinion des initiations mystérieuses du compagnonnage. Il prétendait que toutes ces sociétés secrètes d’ouvriers réunis sous différents noms en Devoirs n’étaient que des associations de bandits ou de charlatans qui, sous prétexte d’en apprendre plus long que les autres, allaient consumer les plus belles années de la jeunesse à battre le pavé des villes, à remplir les cabarets de leurs cris fanatiques, et à couvrir de leur sang versé pour de sottes questions de préséance la poussière des chemins. […]

Quoi qu’il en soit, la vocation du jeune Pierre était plus forte que la pensée de tous les périls et de toutes les souffrances prédites par son père. Sa résolution l’emporta, et maître Cassius Huguenin fut forcé de lui donner un beau matin la clef des champs. […] Pierre partit, et ne revint qu’au bout de quatre ans. »

George Sand, Le Compagnon du tour de France, Chapitre II, 1840

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